Jean-Pierre Grotti - Ecrivain romancier - Aude

Extraits de livres :  Le long chemin de Joaquin l'Espagnol



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    C'était il y a longtemps, sur la rive gauche du fleuve Cabriel. Pendant toute l’après-midi, ils avaient échangé des coups de feu avec des franquistes installés sur l’autre berge. A la tombée de la nuit, deux rossignols avaient commencé à chanter, s’appelant, se répondant, mêlant leurs trilles…

Et les tirs avaient cessé.Les sons s’élançaient vers le ciel, se répétaient, roulaient au-dessus des arbres aux branches déchiquetées, au-dessus des talus mille fois griffés, au-dessus des blessés qui étouffaient leurs plaintes. Et les hommes, les enfants de la Terre, écoutaient les oiseaux, les enfants du ciel.

Et tous, rouges ou blancs, prenaient la pleine mesure de leur folie. Les images venaient de soirs d’été tranquilles, de longues discussions sur le pas de la porte, de cris perçants d’enfants s’enfuyant dans les rues, de de ce bonheur tout simple qu’ils avaient laissé fuir…

Il y avait une telle opposition entre la fureur de la journée - tuer, tuer, tuer - et la paisible limpidité du crépuscule - aimer, aimer, faire éclore demain - qu’elle en était insupportable. Joaquin avait senti les larmes couler le long de ses joues. Il s’était penché pour les dissimuler mais ses camarades aussi, hommes fiers, guerriers impitoyables, pleuraient.

C’était la trêve des rossignols. Pas un seul coup de feu n’avait été tiré durant toute la nuit.

 - Et quel jour sommes-nous ?

- Le 19 avril papa.

- Tu vois Joaquin, pour une fois, je vais faire mentir le docteur, je vais aller jusqu’au premier mai.

Joaquin comprend. Le premier mai : toute la force et l’innocence des braves gens défilant, riant, chantant, portant en gerbes et en chansons tous leurs espoirs d’une vie plus juste, plus belle…

Il revoit son père en tête du défilé, Il l’entend parler… Il essuie machinalement les larmes sur sa joue.

- Ne pleure pas fils c’est bien comme ça. Tu vas me remplacer, tu en es capable. Moi j’ai fait mon temps…

- Tu as été quelqu’un de bien papa. Les gens se souviendront longtemps de toi à Mangole.

Le père sourit en balayant l’air avec sa main ouverte.

- Tu sais Joaquin, tout ce que j’ai fait, je me demande si ça valait la peine… Toutes ces souffrances, cette misère, la ferme presque abandonnée, ta mère toute seule pour s’occuper de vous et pour quel résultat finalement ? Pour voir les fascistes parader et les pauvres être encore plus pauvres.

- Ne dis pas ça papa. Tu ne pouvais pas agir autrement, tu as fait ce qu’il fallait avec ton cœur.

- Oui mais les autres avaient des fusils… Ce qui est important Joaquin c’est la vie.

L’amour, la solidarité, la justice, toutes ces belles idées que tu as, il te faut les garder comme des graines dans un sac. Un jour, quand le moment sera venu, tu les jetteras et elles germeront toutes seules aussi grandes, aussi épaisses que les blés les bonnes années. Et elles recouvriront toute la terre… mais pour cela mon fils, il te faut vivre !

- Oui papa.

- Ne parle pas de tout ça à ta mère, surtout pas du premier mai.

 A ma mère

Ce souvenir sincère que je te dédicace est la preuve la vraie tendresse que j’ai pour toi.

Petite maman de mon âme, jamais je ne pourrais t’oublier. Je te souhaite mes meilleurs vœux pour les jours de Noël.

L’espoir, Mère, est ce qui éclaire mon illusion, c’est quelque chose qui donne la vie et qui émeut le cœur.

C’est le meilleur souvenir pour une mère chérie, le souvenir d’un fils qui ne t’oubliera jamais et qui signe de sa main

Joaquin


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