Jean-Pierre Grotti - Ecrivain romancier - Aude

Extraits de livres : L'Etang de Pauline

 

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Ce Cers, il a posé ses bagages de nuages sur les plaines de l'Ouest. Il s'est rincé, il s'est séché, il s'est reposé puis s'est lancé vers le bas Languedoc.
Il a pris son élan au-dessus du seuil de Naurouze. Il a chevauché la vieille cité de Carcassonne et maintenant, il se précipite de toute sa vitesse de jeune animal fou dans la Méditerranée.

‘’ Les onfons vous pr’nez une glass ? Un cônn ? ‘’.
Même ici, ce sont les accents qui la frappent d’abord. C’est fou comme elle y est sensible à présent. Ils la perturbent, la gênent, l’agressent même.
Que peut-il rester d’authentique dans un village s’il n’est peuplé que de gens étrangers à la région ?
Tous ces touristes à la recherche du vrai -- la ruelle tortueuse, les barques décorées, les vieilles pierre ocres, les filets noirs mis à sécher -- ne savent-ils pas que l’homme est l’artisan, le faiseur, le donneur de sens ?
On visite un musée, on ne s’y attarde pas. Ce dont on se souvient, ce qui reste accroché à nous, c’est un regard, un geste, un sourire, un mot.


Un souffle se lève, venant de l'Est. Aussitôt une foule ordonnée de vaguelettes pressées et joliment courbées aborde la rive en un friselis infiniment répété. Les salicornes frémissent à peine.
Seule, la peau de l'eau s'anime. Son grand corps d'acier gris et de ciel pâle reste immobile et lourd dans son nid de collines et de chemins.

Ce soir, en regardant son père, en l’écoutant, il s’est rendu compte qu’il vivait la fin de la pêche. Il prend conscience aussi que l’étang sans les pêcheurs c’est comme une eau en friche.
Il pense à toutes ces vignes arrachées – la fierté et le sang de la région --, ces terres qui ne produisent plus, qui sont comme mortes...
Il ne faut pas que ce soit la même chose pour l’étang ! Non ce n’est pas possible ! Il doit continuer, continuer coûte que coûte, ne pas laisser disparaître toutes ces connaissances patiemment emmagasinées, tous ces savoir-faire rudement acquis au cours des siècles, toute cette magnifique richesse.
Sa résolution est prise, il va continuer la longue chaîne des Pujol pêcheurs même s’il doit en être le dernier maillon.
C’est écrit tout ça. Pour l’étang, comme pour Pauline, il sera là toujours, toujours.
Il se sent fort soudain, de la force que donnent les certitudes et joyeux aussi comme si le sang de ses aïeux se mettait à chanter dans ses veines.
En traversant le jardinet devant leur maison, il a envie de serrer son père dans ses bras. Simplement, il lui pose la main sur l’épaule.

Prise elle aussi dans la respiration puissante et incessante du vent, Pauline se recroqueville, bras autour des jambes, menton posé sur les genoux.
Le Cers s'acharne sur elle. Il l'entoure, la frappe, lui hurle dans les oreilles, la secoue, la glace. Elle se sent seule, totalement, et si minuscule, si insignifiante...
D'autres femmes, il y a des milliers d'années, étaient comme elle aujourd'hui, étreintes, écrasées, rompues dans les bras du vent. Une longue suite d'êtres fragiles et fugitifs face à la nature...


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